mardi 11 novembre 2014

Armistice

Tiens, j'aurais vraiment bien aimé une petite pause aujourd'hui. A quoi ça sert un jour férié ? A se reposer ? Non. A se souvenir, à se rappeler, à fêter, à ne pas oublier, à.... Et celui-ci, maman ? A se souvenir qu'il y a cent ans, c'est pas si loin, nos arrières grands-parents, nos arrières arrières probablement, les tiens aussi par conséquent, en ajoutant quelques arrières derrière, mon enfant, y étaient embourbés. Parfois j'ai l'impression d'y être jusqu'au cou moi aussi dans la purée de pois comme si une bataille livrée le dimanche ne faisait pas gagner la guerre le mardi. Comparaison indécente, j'en suis consciente.
L'automne, la pluie, la lumière qui s'enfuit, le temps qui passe beaucoup trop vite, des textes commencés et pas de temps pour les faire avancer, les manipuler, les choyer, les boucler, des images qui se perdent dans des dossiers non-traités. Mais quelle est cette vie qui m'oblige à prendre deux chemins parallèles en même temps, qui me fait perdre mes cheveux, mes bouclettes, ma patience auprès de ceux qui me sont les plus chers au monde, mes enfants, quand apparaît mystérieusement cette boule au ventre qui tague d'un coup de bombe toute fantaisie. Aujourd'hui, centenaire, armistice, j'ai l'impression de n'avoir fait que râler. Sans pause, sans trêve, sans répit, sous les bombes éclats de voix, d'obus, guerre de tranchées. J'ai tranché. "Chacun de votre chambre !" Et cette pluie qui continue de tomber, et ce temps qui continue de filer entre les doigts. L'angoisse monte. Ce n'est pas souvent. Mais ça arrive parfois, quand le temps passe trop vite, que la fatigue prend le dessus, que les nuits sont trop courtes ou agitées, quand le sommeil est coupé, bousculé, pas serein. Et ce réveil qui sonnera demain matin beaucoup trop tôt pour aller exécuter un boulot dont j'ai l'impression qu'il me fane, petit à petit. On achève bien les chevaux. C'est formidable d'avoir un CDI et de ne pas se poser la question du salaire tombera-tombera pas en fin de mois. Il y a un peu plus de trois ans maintenant ça m'a sauvé la vie. Je venais de perdre mon mari, les enfants étaient minus. Et aujourd'hui, je ronge mon frein. Pour boulot alimentaire, je fais un truc genre secrétaire. Mais je sais que c'est formidable d'avoir un CDI. Après avoir subi trois licenciements économiques, je sais que c'est formidable, de ne pas être à genou, d'avoir les mains lisses, propres, les ongles pas crasseux, de ne pas avoir trop chaud, ni trop froid, d'avoir des horaires piles et basta, d'avoir la mutuelle, les chèques déj et vacances, et les chocolats du CE. Mais bordel. Bordel quoi. Est-ce qu'on a vraiment grand choix quand on est mono-parent ? Je n'ai pas passé une bonne journée aujourd'hui. Je viens me défouler sur le clavier. Et bile, et basta, et bordel quoi. Je suis crevée. Il y a cent ans... cette question là ne se posait même pas. Superficielle; On parlait de vie ou de mort. De morts surtout. Mon introduction est indécente, insolente, indigne. Je sais. Je relirai Après d'Eric Maria Remarque. Un roman qui m'avait bouleversée, il y a longtemps. Et aujourd'hui je n'ai regardé que dans mes godasses, juste sous le nombril. Et quand j'ai levé le nez, il pleuvait sur ma terrasse, pas de soleil qui brille.

Tache d'encre de Stéphane Millerou et Quitterie Laborde. "Patriotes, qu'il nous a fait, savez-vous ce qu'est un boche?" C'est la première question posée par Gustin Leroux, 20 ans, à ses élèves, pour cette année 1914. Et alors que les enfants d'à peine une dizaine d'années s'emmêlent un peu les pinceaux concernant la réponse, l'enseignant déploie une affiche, déballe son fiel. "D'après ce que j'avais compris, un boche ça ressemblait un peu à un loup, sauf qu'il ne vivait pas dans les forêts mais en Allemagne. Le maître, il ne les portait pas dans son coeur". C'est dans cet esprit qu'il est parti au front. Comme le père d'Emile. Et pour les enfants, lisière de tranchée, courrier de temps en temps, un temps qui s'effiloche, un temps qui fait attendre, qui n'a plus vraiment cours alors que la guerre bat son plein. "Il n'y avait plus que cette guerre partout, tout le temps" et c'est pourtant le hors champ, hors champ de bataille qui est montré dans cet album qui donne vit aux personnages en marge, les enfants amenés à grandir trop vite, les femmes qui entrent dans les usines, assurent la subsistance de la famille en travaillant dans les champs. Il y a aussi les blessés, les éclopés, les mutilés qui reviennent. Il y aussi ceux qui ne reviennent pas. Comme le père d'Emile, déserteur fusillé. Un album bouleversant, aux mots qui sonnent juste, aux illustrations réalistes et parfois émouvantes pour parler de la "grande guerre" avec un point de vue sensible et original.

Il s'appelait comme moi de Jeanne Taboni Mizérazzi illustré par Virginie Grosos. Quand Paul se rend avec sa classe et son enseignant près du monument aux morts pour préparer la cérémonie du 11 novembre, il ne se doute pas un instant, son attention plus ou moins en berne, qu'il va y découvrir quelque chose de très particulier : son prénom et son nom gravés dans la pierre : Paul Zittu. Il n'a qu'une envie, en savoir plus sur son homonyme dont il va vite découvrir l'identité, il s'agit de son arrière-arrière-grand-père. Dans un court roman, qui fait se croiser deux histoires distinguées par un changement de couleur et de police dans la narration, on suit le parcours du grand-père, de la naissance de son enfant à sa mobilisation, et celle de son descendant qui remonte le cours du temps jusqu'à fêter sa dixième bougie un 11 novembre. Histoire avec un grand H et histoire personnelle sont imbriquées ici dans un récit dont la clé est la transmission. 


Elles aussi ont fait la grande guerre de Pauline Raquillet et Valentine Del Moral. Petit précis d'une quarantaine de portraits d'héroïnes de la Grande Guerre, ce livre au sommaire dense présente une galerie documentée de femmes plus ou moins connues qui se sont engagées dans le conflit, plus rarement arme à la main qu'en accomplissant d'autres choses : médecin ou infirmière,  journaliste, photographe, scientifique, et même couturière (mais pas n'importe qui pour le coup), espionne, poète, artiste, actrice... Parmi elles Bécassine, Sarah Bernhardt, Gabrielle Chanel, Colette, Marie Curie... Un ouvrage riche à découvrir dès 10 ans.    

*** Les références ***
Tâche d'encre de Stéphane Millerou et Quitterie Laborde - Editions Les P'tits Bérets - collection à grands pas - 1er trimestre 2014 - 13,50 € - à partir de 5 ans
Il s'appelait comme moi  de Jeanne Taboni Misérazzi - illustré par Virginie Grosos -  Editions Millefeuille - avril 2014 - 6,50 €
Elles ont aussi fait la Grande Guerre de Pauline Raquillet et Valentine Del Moral, illustrations Loïc Le Gall-  Oskar Editions - septembre 2014 - 17,95 €

 Une histoire à toutes les sauces de Gilles Barraqué. C'est dit dans le titre, c'est l'histoire d'une histoire, toute simple un chat qui en tentant d'attraper un oiseau tombe à l'eau. C'est l'histoire de cette histoire, racontée maintes et maintes fois, une soixantaine de fois, avec des mots, des styles, des tendances, genres, champs sémantiques, calibrages, organisations dans la page, graphismes... Différents ! A la Queneau, Gilles Barraqué prend ses ingrédients de base et les passe à toutes les sauces : sauces calligramme, martienne,théâtre, royale, anglaise, mais aussi aux légumes ou aux fruits, poisson. Un ouvrage ludique, à digérer par petits morceaux pour ne pas se lasser de la redondance des aliments de base. Dès 10 ans.
Une histoire à toutes les sauces de Gilles Barraqué -  Editions Nathan - janvier 2014 - 5 €


1 commentaire:

  1. Une chronique magnifique et sensible, comme toujours. Peut-être davantage encore.
    Oui le temps passe et fane, quoique...
    Oui le temps passe et file, et ça ne va pas s'arranger...

    La Grande Guerre m'attire, une fascination un peu morbide peut-être mais c'est comme si elle allait me donner les clés d'un silence familial oppressant et quasi emmuré.

    Il me tarde déjà de découvrir tous ces livres.
    Courage!
    Blandine.

    RépondreSupprimer