mercredi 12 mars 2014

Quand la nature s'éveille, je parle de la mort...

Quand la mort arrive dans l'univers insouciant de l'enfant -  un être cher, un être proche est mort et on ne le reverra plus - l’enfant, lui, pose la discussion directement dans le concret. Si on le laisse dérouler le fil de ses interrogations, il posera sur un sujet qui reste difficile à appréhender pour nous adultes, beaucoup de questions. « Pourquoi », « comment », « quand » bien sûr, mais aussi «  » et « après ». Utiliser les bons mots, les mots justes, ceux qui sont parfois pour nous les plus rêches, les plus douloureux parce que quand le sujet arrive à la maison, au p'tit déj ou autour d'un menu jambon-pâtes fait à la va vite, c'est bien souvent qu'il nous touche de près, n'est pas facile. Et pourtant, avec les enfants, ce n'est pas si compliqué. La mort, c'est la fin de la vie. La difficulté ne réside pas tant dans le fait de le comprendre mais dans son irréversibilité. Une notion qui les jeunes enfants ne peuvent pas forcément appréhender, à moins de la vivre vraiment, et le temps fait alors son effet. Mais l'accepter ne se fait, ni pour le jeune enfant, ni pour nous, d’un coup de cuillère à pot.  
Chaque 12 mars, depuis 9 ans, anniversaire de mariage
Dès qu’il y a vie, il y aura mort. "Quand ?" On ne sait pas. Heureusement peut-être. La mort est d’autant plus difficile à appréhender, à comprendre, à avaler, à digérer quand elle est injuste. Et elle est injuste quand elle n’est pas dans le cours dit normal des choses, quand ce ne sont pas les plus vieux d’entre nous qui partent en premier. Car la vie, c’est ainsi, part peu à peu ou soudainement quand l’âge avance. A cela, nous sommes plus ou moins résignés. On accepte l’inacceptable quand l’âge atteint un certain seuil, on s'en offusque moins, non ? 
Mais la mort est injuste, inacceptable, incompréhensible quand elle survient chez les plus jeunes, des bébés, des enfants, des ados, de jeunes gens, de jeunes parents… Mais la mort est inacceptable quand les choses sont injustes. Et l’enfant lui veut comprendre, veut savoir ce qu’est la mort, comment elle arrive, si elle lui tombera dessus, si elle atteindra les siens, s’il reverra son grand-père, sa mère, son frère, sa tante… Il veut comprendre concrètement ce que nous posons directement dans le domaine du spirituel et du philosophique, peut-être pour écarter de notre corps et de notre esprit tiraillés, broyés, laminés, les violences qu'elle (la mort d'un proche) leur fait subir. Souvent, nous abordons le sujet par des images, des métaphores qui posent des mots du quotidien dont le sens devient tordu et angoissant pour l'enfant. "Il est parti ; elle a disparu ; il est au ciel ; on l'a perdu ; un très long voyage". Ce qui renvoie effectivement à des choses concrètes pour l'enfant et qui n'ont par contre rien à voir avec la mort. Prenez les phrases au premier degré. Concrètement ( et je me base sur des échanges réels) les enfants attendent de vraies réponses à leurs vraies questions. Comment ? "Dans quelle position", par exemple. Concrètement c’est, "est-ce que ça fait mal", "comment on arrête de respirer", "comment le cœur arrête de battre". Concrètement, c'est expliquer que les organes vitaux se mettent hors-circuit sans forcément être bon en biologie, c’est parler du déroulement des funérailles, des rituels, des textes, de la musique, des gestes, de la peine, du manque, du lieu où la dépouille de l’être aimé reposera désormais... Sans avoir déjà fait son propre chemin de deuil, sans avoir déjà accepté l'inacceptable. Parfois, répondre juste aux questions ( qui arrivent ici, la parole est libre, de manière aussi naturelle et spontanée que la situation n'est pas forcément propice et que je ne m'y attends pas, entre deux tartines, par exemple, au petit déjeuner ), cela suffit. 
Parfois cela suffit pour un temps, seulement. Parfois cela ne leur suffit pas du tout ou pas toujours. Parfois je n'ai pas de réponse. A chacun ses croyances, les miennes, les siennes, les nôtres, étaient et sont de ne pas croire en un « après ». Allez dire à des enfants qu’après la mort il n’y a rien. Ce n’est pas facile, mais c’est possible. En y glissant à la dure réalité des choses, des traces de poésie, des images, des mots, des photos, des couleurs, en laissant germer la petite graine de l’imaginaire, celle qui pousse dans la tête et qui prend naissance dans le cœur. Et qu'il faut arroser, arroser, arroser. De larmes, de sourires, de souvenirs, d’émotions, d’une fleur d’amertume, de rayons de soleil, d’un peu d’arc-en-ciel, de l’odeur de la pelouse tout juste tondue ou de l’odeur des mottes de terre toutes fraîches que l’on égrène entre ses doigts. On peut aussi y mettre de l’embrun, des marées hautes et des marées basses, du sable chaud et des coquillages. On peut aussi y mettre des fleurs cueillies dans les prés, séchées, des pétales de roses qu’on aura laissé voler avec les cendres du passé. On peut aussi faire en sorte que l’être cher, l’être aimé ne soit jamais bien loin en pensée, dans le cœur, même s’il n’est plus là. Mais ça n’empêchera
jamais la question « Où va-t-on quand on est mort » que les auteurs Isabel Minhos Martins et Madalana Matoso ont transformé en « où va-t-on quand on disparaît ? » pour parler d’abord de disparition avant de parler de la mort. Pour parler de la disparition afin d’évoquer la mort. Pour parler de disparition parce que la mort en est une, la plus grande, la plus béante, la plus dure, car elle est irréversible et elle créé un manque tellement cruel...
Disparaître. "La plupart du temps, on ne va pas loin, on est juste là, au coin de la rue". Parfois, le mot a un autre sens. Toujours, pour disparaître, il faut être au moins deux : "Un qui reste, un qui disparaît". Et celui qui reste se retrouve avec toutes ses émotions, et toutes ses questions. Sans réponse, bien souvent. " Mais où est-il donc allé ? " ; "Est-ce qu'on ne se reverra jamais plus ?". Mais nous ne sommes pas les seuls à disparaître. Les chaussettes, les flaques d'eau, les nuages, le soleil, la neige, le bruit, les pierres... "rien ne dure éternellement". "Chacun se fait une idée différente de l'endroit où nous allons quand nous disparaissons". Avec de l'imagination, "nous pouvons aboutir dans des endroits incroyables (comme les chaussettes". Où va-t-on quand on disparaît est un très bel album sur la disparition, l'univers graphique et le texte sont sobres et poétiques et permettent d'aborder le sujet de la mort de manière contournée mais très intelligente. *** Coup de cœur ***

Tu vivras dans nos cœurs pour toujours de Britta Teckentrup. Il est temps pour le vieux renard de mourir, il regarde une dernière fois la forêt, et se rend, fatigué et à pas très lents vers son endroit préféré, celui où il s'allongera, fermera les yeux à jamais. Les uns après les autres, les amis de renard viennent se recueillir près de lui, le cœur lourd, Hibou tout d'abord, puis écureuil, fouine, ours...  tous en silence. Et puis les souvenirs surgissent. Ceux de hibou tout d'abord "je me rappelle quand nous étions petits, Renard et moi, nous attrapions les feuilles mortes au vol". Et puis d'autres encore, des souvenirs heureux, doux, comme regarder le coucher du soleil avec Renard... Au fur et à mesure que les animaux racontent Renard, une petite plante orange perce la neige et grandit, grandit, jusqu'à devenir un arbrisseau, puis un arbre, comme si Renard était toujours avec eux. Sobres, légères et poétiques, les illustrations de l'album sont très belles. Le texte est doux et délicat. L'histoire n'est pas sans rappeler le grand classique Au revoir blaireau de Suzanne Varley (ici), les messages convergent, autour de la mort naturelle d'un vieille ami, ses proches se réunissent pour transformer leur peine avec leurs beaux souvenirs, et sont présentés dans un autre univers graphique. 

Le dernier voyage de Félicien de Pierre Touron. Pour le capitaine Félicien, le grand-père de Sylvestre, le temps est venu de quitter le navire. Vagues menaçantes, nuages noires, "la mer prend une vilaine couleur d'encre", c'est la tempête. De manière invraisemblable le bateau chaviré s'échoue dans une forêt. Les lumières reviennent un peu et au bout d'un chemin, le grand-père aperçoit Sylvestre, son petit-fils qui se jette dans les bras du capitaine, pour un long et émouvant au revoir. Invraisemblable, oui presque, entre rêve et cauchemar, l"histoire a commencé dans l'imagination de l'enfant que la maman tire de son sommeil. Rêve ou cauchemar, l'enfant s'éveille avec sa question. Grand-père... ? 
" - Il n'est plus parmi nous tu sais bien...
- tu veux dire qu'il ne reviendra plus qu'il est vraiment mort ? 
- Oui Sylvestre. Mais tu sais, tous les bons moments que tu as partagés avec lui ne s'effaceront jamais". 
Un voyage allégorique pour représenter la fin de la vie et le grand départ d'un grand-parent. La fin de l'album montre une image touchante de l'enfant, les yeux fermés, il puise dans ses souvenirs pour se rappeler de son grand-père aimé. Un album sensible.

Nos petits enterrements d'Ulf Nilsson et Eva Eriksson. Un bourdon mort, une grande soeur meneuse de troupe, un peu d'ennui et hop, c'est parti, la fratrie monte une entreprise Enterrement SA pour s'amuser bien sûr. Enterrement de petites bêtes, trouvées dans les buissons, dans les champs, sur la route, dans les tapettes de mamie (quand il s'agit des souris) et même dans les tiroirs du congélateur, comme ces "harengs excellents", il faut trouver du client et ce n'est pas une mince affaire que de tout organiser. Boîte cercueil, croix en bouts de bois ou bâtons d'esquimaux, poème pour la cérémonie. "Nous allions faire les plus beaux enterrements au monde, et rendre service à tous ces malheureux animaux morts qui gisaient à terre. Le travail d'Esther c'était de creuser. Moi, j'écrirais des poèmes. Et Lolo, lui , pleurerait". Cet album est un gros *** coup de cœur ***. Il aborde le sujet de manière très intéressante, via le jeu d'enfants qui, en se confrontant aux animaux morts, comprennent le sens du mot, apprivoise la notion et les rituels, non sans sincérité et émotions. Les illustrations aux tons pastels sont douces, à l'image de l'illustration de couverture. A placer d'urgence entre toutes les petites mains potelées (ou non) pour discuter du sujet surtout quand on n'est pas directement concernés... 
Véra veut la vérité de Léa et Nancy Huston.  Morte. C'est une feuille qui tombe sur l'épaule de Véra, " toute brune et toute fripée". C'est son premier contact à la mort. "La première fois que j'en ai entendu parler". 
" - Qu'est-ce que c'est morte, papa ? (...)
- Ben, ça veut dire une chose qui a été vivante et qui ne vit plus".
Peu de meilleure définition pour un enfant confrontée à une feuille morte. Et puis il y a eu la tapette "pour tuer les mouches" ou encore les ongles et les cheveux, "des cellules mortes" et un pigeon écrasé. La petite fille engrange des informations sur la mort en s'y confrontant indirectement au fil du quotidien. Jusqu'à la "catastrophe". "Titi est mort. Titi, c'est mon canari...". Et puis le temps a encore filé. A sept ans "maintenant, j'étais plus ou moins habituée à l'idée de la mort. Disons qu'elle ne me tracassait plus même si elle ne m'enchantait pas non plus". Mais quand son grand-papa est mort, la petite fille se rencontre vraiment à la mort, et doit faire face à la tristesse de ses parents, de sa grand-mère, à la sienne. Pas tout à fait le même sens finalement que la perte de son canari... Un court roman clair et bien mené à destination des jeunes lecteurs associé à un second, Dora demande des détails, clair sur la naissance cette fois.

* * * Les références * * * 
* Où va-t-on quand on disparaît de Isabel Minhos Martins et de Madalana Matoso, Editions Notari, novembre 2013 - 15 € - à partir de 4 ans.
* Tu vivras dans nos cœurs pour toujours de Britta Teckentrup, Editions Larousse, octobre 2013 - 12,90 € - à partir de 3 ans. 
Le dernier voyage de Félicien de Pierre Touron, Editions Baliverne, septembre 2006 - 13 € - à partir de 4 ans.
* Nos petits enterrements d'Ulf Nilsson et Eva Eriksson, Editions Pastel, Mars 2005 - 11€ - à partir de 4 ans.
* Véra veut la vérité et Dora demande des détails de Léa et Nancy Huston, Editions l'Ecole des loisirs - collection Mouche - octobre 2013 - 9,50€ - à partir de 7 ans.

2 commentaires:

  1. Tes mots sont justes, pleins de poésie merci et bravo :-) Et douce nuit....

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